# Ecotopie : Circle of Children

Le temps était magnifique pour accueillir cette première journée à Triangle Lake Conference Center.

Histoire

La communauté Circle of Children s’est installée dans une vallée isolée de l’Oregon, sur les rives du Triangle Lake. Elle s’étend sur un domaine de 60 acres qui appartenait jusqu’en 2006 à une Eglise qui avait installé jadis des infrastructures pour être un centre d’accueil de gros événements. En 2011, le terrain laissé à l’abandon a été acheté par un couple d’activistes écologistes fortunés, en lutte contre les coupes rases des forêts industriellement exploitées suivies d’épandages d’herbicides par hélicoptères — autorisés par la loi jusqu’à 20 m d’une propriété ! L’intention était de constituer un sanctuaire, destiné aux enfants, où la nature pouvait être restaurée dans un équilibre vertueux au milieu d’un déluge d’herbicides. Par une série de rencontres et de circonstances favorables, la propriété a été donnée à Circle of Children pour développer son projet d’empowerment (un mélange d’éducation et d’émancipation) de la jeunesse et de transformation de tout le système d’exploitation de la nature, et d’isolement dans des contextes urbains.

Depuis 2012, Blackhorse Sasha et sa compagne Mhegane ont peaufiné leur idée et formalisé ce qu’ils appellent leur « mission » : recréer un lien social organique à partir d’un lien profond à une terre qui puisse permettre l’ouverture et inspirer d’autres personnes. Cela passe par un grand jardin (Medicine Wheel Garden), différentes expérimentations en permaculture ( par exemple la fruit forest : l’idée d’intensification des rendements en étageant les cultures depuis le champignon jusqu’à l’arbre fruitier en passant par les salades et autres plantes plus grimpantes comme les tomates et toutes sortes de baies), des bâtiments restaurés en éco-architecture, et un accent mis sur l’implication des enfants dans les décisions, dans les activités, dans le travail. Leur but « pédagogique » est de développer chez les futurs acteurs sociaux, la confiance et la volonté pour devenir eux-mêmes les serviteurs de la terre et construire pour l’avenir un renversement de l’actuel système destructeur créé par la culture moderne.

Circle

J’arrive à Triangle Lake précisément pour l’ouverture de deux semaines d’activités communautaires, camp pour familles et enfants, appelée « Family Tribe Summer Camp ». La première matinée est consacrée à une réunion permettant à chacun de se présenter et censée préciser les intentions de ces deux semaines : les rythmes des journées et les activités proposées. Les réunions sont dirigées par Blackhorse mais le souci de soumettre ses propositions à la critique et au changement au sein d’une perspective consensualiste est remarquable. C’est un mélange de travail, de dégustation de repas délicieux et de délassements qui semble bien remplir les journées.

Je trouve beau la dynamique du groupe où il y a une grande énergie pour le travail et en même temps des moments de reconstruction du lien social et de l’amitié. La liberté laissée pour l’initiative et la prise de risque notamment des enfants est aussi remarquable. Tout l’aspect un peu religieux des prières, des chants répétitifs et des invocations des spiritualités indigènes dans un mélange new-age n’est pas ce qui me semble le pus fort même si de fait le contenu est essentiellement tourné vers la prise de conscience et la louange du lien vital à la nature sous ses différents aspects ainsi qu’à l’exhortation vers des affects positifs motivant les troupes. Force est de constater que ces petits cérémonials créent un lien affectif réconfortant et produisent leurs effets galvanisant.

Montage de Tipi

La tâche du travail collectif aujourd’hui est d’élever un tipi. Travail certes, mais surtout énergie commune pour établir un refuge, une demeure, une habitation possible de la terre. Les enfants jouent alentour mais sont excités de mettre la main à la patte de temps à autres. Le montage d’un tipi de plus de 8 mètres de haut demande un travail et une précision que je ne soupçonnais pas ; charriage des poteaux, positionnement du trépieds principal puis des poteaux secondaires, enfin positionnement de la toile, coupe et pose des ligatures finales et des pieux pour tendre la toile.

Repas

Comme beaucoup de communautés qui insistent sur le lien social, la nourriture tient une place centrale. Ici elle est végane, délicieusement préparée par différents membres de la communauté et mangée en commun. Une américaine rayonnante, Danielle, prend souvent la direction des opérations pour créer des salades multicolores et épicées, et accompagner les féculents de sauces délicates.

Exemple de menu :

Salade multicolore / Pâtes en sauce (cashew, ail, choux-fleur, épices) / Pain de bananes (avoine (pour la farine), graine de chia (pour les oeufs), huile de coco, sucre de coco, banane, cannelle, levure…).

Tout est biologique. Les légumes proviennent du jardin et de fermes locales… La culture de la nourriture est vraiment envisagée comme le commun fondamental à partir duquel tout peut changer.

Des rencontres

Tsipi et BrandonTsipi est une Israélienne pétillante en voyage aux USA. Elle a rencontré Brandon à Hawaï et l’a rejoint ici depuis deux semaines. Brandon était un de ceux qui respirait le mieux et dégageait une force explosive associée à une recherche spirituelle sur les « healing sounds » et les danses extatiques. Quelle vitalité !

Mark et MarikaMarika et Mark : un couple mixte italo-américains. Ils se sont rencontrés dans le réseau des éco-villages italiens, seront mariés en septembre et voyagent sur la côte Ouest à la recherche d’une communauté pour une potentielle installation. Elle est enseignante, il a étudié la philosophie comparée. En plus de notre communauté de culture européenne, nous découvrons une affinité commune pour la méditation et la musique. Nous animerons une soirée en faisant discuter la guitare de Mark et ma petite trompette. Bello !

Cesar et XanderDanielle et Cesar : un couple mixte américano-mexicain venus de Phoenix, Arizona, une super cuisinière et un super architecte d’extérieur. Ils vivent ici pour deux mois et Cesar réalise une sorte de stage dont la fonction sera de réaliser un master plan de la propriété du Circle of Chirdren. Leur deux garçons de 2 et 4 ans, très beaux, semblaient très à l’aise dans leur nouveau territoire. Cesar a fêté ses 28 ans et venait d’apprendre son acceptation dans un master de cartographie à l’ère des big-datas. Leur curiosité cosmopolite leur faisait rêver de venir vivre en France quelques temps. A bientôt j’espère !

JessJess était là avec sa fille Phoebe. Elle venait juste de rentrer d’une campagne de sensibilisation à travers tous les États-Unis, avec l’association Vegan and Transgender youth. Elle était aussi engagée dans l’église unitarienne et cherchait une communauté pour grandir dans un environnement favorable.

ChauceChauce est l’un des résidents permanents depuis 4 ans, avec Blackhorse et Mhegane. Il raconte comment d’une adolescence dépressive et révoltée il a gagné de la joie, de la confiance, des compétences insoupçonnées en arrêtant l’école à 16 ans et en venant vivre ici. De fait, il fait beaucoup plus mûr que ses 19 ans et déborde d’énergie pour prendre soin du jardin et gérer en indigène les problèmes ordinaires avec une maîtrise certaine.

blackhorse1Blackhorse a grandi dans l’Ohio et raconte avoir été un enfant dur et rebelle. Il rêvait de la côte Ouest et de sa liberté depuis ses 8 ans et a suivi le processus des transformations new-age, pensées comme soin et purification de son âme et de soi permettant de redonner un sens à une existence qui n’en avait pas vraiment auparavant. Il est le fondateur, le directeur et la clé de voute de Circle of Children. Grand, les cheveux longs et le regard perçant, il parle souvent d’une voix douce et profonde quand il exprime ses croyances ou quand son discours se situe sur le registre spirituel. Il semble avoir trouvé, malgré son jeune âge, son rôle de leader de communauté et insiste souvent sur la clarté de la vision qu’il a pour ce lieu, son grand projet et l’énergie débordante qu’il va en résulter. Je le trouve pour ma part beaucoup plus authentique dans son rôle d’éducateur avec les enfants que dans son rôle de chef de tribu new-âge. Comme leader dévoué à la jeunesse, il excelle à impliquer, responsabiliser, reconnaitre tous les enfants depuis les plus petits comme des sources d’énergie et de joie dont il faut s’inspirer. Une des idées phare est le conseil des jeunes (youth council), où les enfants prennent des décisions qui vont être suivies par la communauté, expriment ce qu’ils pensent bon pour prendre soin de la terre et développent leur confiance. De fait, je suis très touché par l’idée que tous les enfants trouvent des pères et des mères potentiels dans tous les adultes de la communauté, par la liberté et la responsabilisation des enfants, par la bienveillance et la facilité de l’interaction entre adultes et enfants. Une technique m’a semblé belle et d’une efficacité qui mériterait répétition de l’expérience : quand un enfant demande de l’attention pendant une réunion d’adultes ou se mettait à pleurer, le fait que tous les adultes l’appellent doucement par son prénom calmait immédiatement les pleurs ! Dans le discours de Blackhorse, il y a l’idée de formation des futurs leaders, de reconnexion avec la spontanéité et l’émerveillement des enfants face à la nature, et l’exigence de prendre soin de soi en prenant soin des générations futures.

Le grand projet

Quand Blackhorse parle de son grand projet, il s’anime, son regard se fait plus perçant, son flot de voix devient plus rapide et plus fluide. Il parle alors des lendemains qui chantent. D’abord la loi qui va inciter tous les enfants d’Oregon à faire des séjours en nature : no child left inside ! (une parodie du « no child left behind », entreprise de destruction systématique de l’école publique américaine menée sous l’administration G. W. Bush et dont m’avait longuement entretenu Peggy à Monan’s Rill) et qui lui fait dire que Triangle Lake est une mine d’or. Ce serait le business plan à long terme. Ensuite, l’idée d’accroître le nombre des membres permanents de façon à exploiter à plein régime le potentiel incroyable de ce terrain, des infrastructures, des 140 lits, de la cuisine collective, de la grange-théâtre, à quelques 35 miles de d’Eugene et 150 miles de Portland. Enfin, développer un modèle d’école et de communauté pour proposer des outils de rayonnement à travers le monde grâce à une plateforme de médias-sociaux associée à un financement participatif.

L’ambition est énorme. Le chemin à parcourir est considérable mais Blackhorse et Chauce insistent souvent sur le chemin déjà parcouru en 4 ans qui donne l’espoir. Blackhorse insiste aussi souvent sur la clarté de leur plan stratégique et la portée non seulement locale mais aussi étatique, continentale ou globale de ces entreprises développant la liberté, l’ouverture, la progression dans la prise de conscience de ce qui est essentiel dans une vie (et qui est trouvé dans un modèle idéalisé de la tribu). Il prétend que d’ici deux ans le développement de Circle of Children sera exponentiel et permettra d’amener les meilleurs spécialistes de l’éducation environnementale qui habitent aussi la région !

Les forces qui s’opposent

En dépit de ces discours roboratifs, Circle of Children se situe de fait encore dans sa phase de lancement et elle doit déjà faire face à de nombreux obstacles. Dès son installation, la communauté a été attaquée par un puissant lobby alliant industries agricoles, pétrochimiques et exploitants de l’industrie du bois, qui s’affronte de longue date au couple ayant donné la terre à Circle of Children. Les avocats du lobby ont déniché un vice dans le permis d’utiliser la terre comme organisation à but non-lucratif, c’est-à-dire selon des modalités non conventionnelles par rapport aux terres agricoles.  Basculant automatiquement sous la juridiction d’un permis d’exploitation agricole ordinaire et de l’USDAF (US department of Agriculture and Forestry), les taxes de propriété sont passées de 300 $ à 26 000 $. La communauté a donc fait appel. La prochaine étape des ses imbroglios judiciaires aura lieu le 19 juillet prochain, pour un procès visant à statuer sur le type de permis dont peut bénéficier la communauté. Blackhorse semblait confiant dans ses avocats et dans les lois d’Oregon. Il affirmait que ces attaques les avaient obligé à clarifier leur stratégie et à présenter un plan de développement défendable devant un tribunal. Il pensait que cela avait en réalité renforcé leur détermination et les soutiens à la communauté.

Je ne peux m’empêcher de ressentir à travers Blackhorse cette énergie volontariste des possédés par une foi profonde. Pour une fois, je tairai mon scepticisme et ne garderai que la beauté de l’engagement total pour les autres et en particuliers pour les enfants, héritiers d’une terre défoncée ! Le fatalisme et la déprime n’ont qu’à bien se tenir ! Bravo à toute la petite tribu !

Damien

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