# Retour amont : OUR ecovillage, communauté hyperactive !

A 40 km au nord de Victoria, à quelques kilomètres du Lac Shawnigan se trouve OUR ecovillage : un centre de démonstration en constructions naturelles et de formation en permaculture. C’est aussi une école, un lieu d’accueil de bénévoles, travailleurs, stagiaires contre un gite et un couvert, ainsi qu’un lieu où tente de se retrouver une spiritualité de la connexion à la terre.

J’arrive peu avant midi. Mark m’accueille et me fait passer à travers tout le processus de précautions anti-poursuites administratives, et d’accord mutuel : 8 h de travail par jours, 40 h par semaine contre gite et couvert ! C’est intense pour du bénévolat mais le travail est censé être formateur et l’ambiance est celle de la bienveillance ouverte qui fait du bien. Je décide de rester une petite semaine avant de continuer la route

Journée de travail à OUR ecovillage

Mon travail s’est réparti en tranchées, nettoyage du jardin et cuisine. Le piochage vise à installer un réseau de recyclage des eaux grises au sein du verger. Le jardin nécessite du désherbage, des réorganisations de l’espace et quelques récoltes. L’écovillage a décidé de ne plus avoir de cuisinier. C’était bien sûr beaucoup plus confortable mais cela faisait perdre cette implication de chacun des membres dans la confection des repas et le nettoyage de la cuisine. Il a donc été décidé de retrouver ce temps essentiel dans le soin pour soi et les autres que constitue la préparation de la nourriture. Des équipes de 3 se constituent de façon volontaire, l’un des résidents décide de prendre le « lead » (la direction). Chacun s’engage pour participer à la préparation de 3 repas dans le semaine ainsi que 3 sessions de lavage-rangement après les repas. Toutes ces tâches font que le temps me semble plein d’un travail constant et mon corps deshabitué de ce rythme et de ces efforts ressent souvent une grande fatigue.

Je fais équipe avec Émilie et Simon, jeunes grenoblois, jadis, avant leur exil respectivement à Montréal pour Emilie qui travaille dans l’organisation de festivals de musique et à Paris pour Simon qui œuvre comme infirmier psychiatrique pour adolescents à la FSEF (Fondation pour la santé des étudiants de France). Emilie rentre en France à la fin Aout pour reprendre son travail à l’HADRA et Simon est venu la rejoindre pour un voyage de 3 mois à travers le Canada et les USA. Ils ont cherché des lieux de woofing sur l’ile de Vancouver pour se reconnecter à la nature et participer à des projets enthousiasmant. Il est bon de retrouver l’humour piquant, le sentiment qu’on travaille quand même un peu trop et que le temps partagé à siroter une petite chartreuse en jouant aux dés ou cartes a toute sa place dans une journée réussie ! Il nous a toujours manqué, malheureusement un quatrième larron pour la coinche !

 

Rencontre avec Kénix

Kénix est d’origine honkhongaise et vit au Canada depuis 10 ans. Après des études de philosophie à Honk Hong, elle est venue faire un master en théologie éco-féministe à l’université de Toronto en 2005. Elle vit et travaille à OUR ecovillage depuis 2 ans, en formation dans le « permaculture design », le « natural building », …  Elle est jardinière-responsable pendant mon séjour et j’ai apprécié sa joie pétillante, sa façon de vivre avec les plantes et de les goûter souvent. Elle se définit comme une chrétienne bouddhiste. Chrétienne pour l’identité culturelle historique, bouddhiste pour la pratique de la présence compassionnelle, et aussi paganiste honorant la terre, méditant avec les plantes et célébrant les solstices et la lune. Elle vit activement la simplification de son existence, la recherche d’un environnement de peu d’objets, nécessaires et de grande qualité. Elle apprécie particulièrement le temps qui lui est donné ici de dessiner sa vie selon son rythme et comme elle l’entend. Elle passe par exemple les 2-3 mois d’hiver avec sa mère à Honk Hong. Kenix interprète les « problèmes » du jardins comme autant d’enseignements ou de messages des plantes pour qu’elle apprenne quelque chose. Elle me raconte comment, lors d’une méditation sous un cèdre lui est apparue l’idée que le bouleversement climatique était peut-être un grand geste d’amour de la nature parce qu’elle offre la possibilité aux humains, une dernière fois peut-être, de se reconnecter à elle. On s’est retrouvés à étêter des fagots de lavandes. C’est méditatif et cela sent bon.

Un écovillage métamorphiques

Samedi avait lieu une présentation de OUR ecovillage par Brandy, une des fondatrices de l’écovillage qui habite ici depuis 17 ans et constitue l’un des ressorts principaux du fonctionnement de la communauté. Si le concept existait ici elle serait directrice. Elle nous raconte en détails l’histoire de cette communauté depuis le groupe de 14 travailleurs sociaux-écolos se regroupant à Victoria autour de l’idée de résister à la « tragédie des communs » — l’idée développée par un économiste libéral, William Foster Lloyd que tout usage de biens communs finit fatalement par conduire à l’appropriation par quelques uns, la domination des autres et la stratification conflictuelle du capitalisme — et de promouvoir « les opportunités du communs » jusqu’à l’organisation exemplaire à bien des égards d’aujourd’hui. La plupart des fondateurs étaient des soignants mais Brandy dit que c’est à l’ecovillage, finalement, que s’est développé un soin global, le « yoga de la vie » qui est de se reconnecter à soi à travers la nature pour enfin pouvoir être pleinement aux autres. Il y avait donc d’emblée au cœur de l’objectif, l’idée de construire des relations et des ponts pour sentir ce qu’est une communauté. C’est par la suite que les noms de permaculture ou d’ecovillage viendront reconnaître cette reconnexion à la terre que d’autres appelleront agroécologie par exemple.

Le nom O.U.R. est un acronyme pour One United Ressource (une ressource unie) mais joue surtout au quotidien sur l’usage décalé du pronom possessif « our » — « notre » — pour signifier cette révolution dans l’ordre de la propriété. Peut-on s’approprier la terre ou bien la responsabilité est-elle commune ? « Notre communauté » n’est pas un lieu délimité par des barrières ou un titre notarial, c’est la relation de tous les êtres. Encore une fois, l’atomisme individualiste est dénoncé comme une idéologie fausse et nocive, et les relations écosystémiques sont pensées comme premières.

Brandy expose les métamorphoses de l’organisation :

  • En 1999, l’acquisition de la terre et le principe selon lequel « tout ce qu’on ferait ici serait éducationnel ». Leur premier apprentissage a été « d’écouter le terre » et d’observer pendant 1 an avant de décider quoi que ce soit.
  • En 2000-2001 la constitution en association (non-profit) et la définition de leur projet comme « sustainable land management process design » (quelque chose comme « processus de conception d’une gestion durable de la terre) : être un modèle, un centre d’éducation, un laboratoire vivant, et un centre de connexion à un réseau plus grand. En continuant leur processus de réflexion sur ce que signifie « community », ils ont créé un mode de consultation ingénieux : des centaines de personnes sont venues pour proposer leur vision ; les membres de la communauté les ont d’abord écouté avant de décider. Brandy raconte comment la proposition d’une vieille dame  « Everybody must do the dishes ! » (Tout le monde doit faire la vaisselle) avait permis d’établir l’équation fondamentale : Communauté = coopération = égalité et justice = Everybody must « do the dishes ! ». Dans la même idée de comprendre les relations fondatrices, la maison commune et la cuisine commune ont été construites les premières.
  • En 2002 a commencé un long processus pour rendre toutes leurs activités conformes aux exigences légales. Le but était d’éviter les craintes inhérentes à la clandestinité mais surtout de pouvoir être un modèle réplicable. Brandy raconte comment leur projet communautaire a été l’occasion d’une réorganisation institutionnelle (faire discuter entre elles les 11 autorités administratives impliquées), et a permis de faire évoluer les codes, par exemple pour les eaux usées et les toilettes sèches. Ce processus a abouti à l’organisation des 25 acres selon des zones : 1/3 de la terre a été protégée comme zone humide. Elle entoure les zones éducationnelles (le jardin et la ferme proprement dites) et la zone autour d’un étang destinée à recevoir 9 habitations. Actuellement l’écovilage peut accueillir 150 personnes et comprend un dortoir, un Bed & Breakfast, et camping légal. Le point culminant du terrain, Vision Hill est au cœur du territoire comme lieu de cérémonie. C’est aussi le lieu où repose les cendres de l’une des fondatrices de l’écovillage.
  • A partir de 2003, a commencé le processus de se soumettre aux codes de la construction de la British Columbia. Le premier bâtiment de construction naturelle a été approuvé et l’écovillage a commencé à avoir une résonance nationale.
  • En 2004, l’école sur site commence. Elle s’appelle TOPIA et propose différentes formations en permaculture, construction naturelle et a de nombreux programmes avec les écoles alentours.
  • A partir de 2005-2006 débute le processus du construction des maisons et le projet d’un nouveau modèle de propriété hybride par le FOG (Finance Ownership and Governance Funding). Un manuel pour la création de communauté et les modèles de gouvernances a été publié. Brandy explique comment la communauté a évolué d’une direction par consensus (où une minorité peut prendre le pouvoir par son pouvoir de veto) à la sociocratie.
  • Un de leur projets actuel consiste à se demander : comment trouver du financement et devenir soi-même un modèle pour d’autre financement d’expérimentations sociales ?

 

De l’hyperactivisme au rythme de la construction de communauté

Peut-être du fait de mon travail, j’avais parfois l’impression d’un l’hyperactivisme au sein d’OUR ecovillage. Il est vrai que l’été est la période de grande activité et que de nombreuses personnes passent créant un rythme un peu frénétique. Mais il me semble qu’il y avait un déséquilibre de fond entre la philosophie de reconnexion, d’écoute des rythmes de soi et de la terre avec l’hyperactivisme de l’organisation qui devient mangeuse de ressources humaines.

Brandy semblait d’ailleurs consciente de ce déséquilibre et me confiait que l’idée était sans doute de ralentir pour passer de 10 000 visiteurs par an actuels à la moitié et de prendre plus de temps pour construire la communauté avec de nouveaux membres. Un couple de jeunes Suisse-Canadien, Damien et Brook avec leurs enfants Allou (4ans) et Weston (10 mois), avaient quitté leur vie genevoise, venaient d’arriver sur leur nouveau territoire et étaient en plein processus d’installation d’une tiny house à côté de l’étang. Leur volonté de mettre en cohérence leurs convictions écologistes — Damien travaillait pour Pro Natura à Genève et Brook venait d’achever des études d’écopsychologie — avec un mode d’éducation de leurs enfants, proche de la nature et au sein d’une communauté consciente de son rapport écosystémique à un territoire les avaient poussés dans cette belle aventure en quête d’un nouvel équilibre. J’ai appris depuis qu’ils avaient trouvé un havre ailleurs. Bonne route à eux !

Le difficile rapport à l’histoire coloniale

Une anecdote significative racontée par Brandy, un soir où des futurs intervenantes venues du Costa Rica proposer des cérémonies chamaniques autour du cacao cru, suggère la profondeur du traumatisme causé par la violence coloniale exercée à l’encontre des « premières nations » — violence encore présente partout au Canada comme aux USA. Dans les premières années d’OUR ecovillage, des huttes de sudations étaient organisées sous la direction de chamans autochtones, pour bénir la terre et créer le lien aux esprits-ancêtres. Un matin après la hutte, Brandy voit le Chaman, le salue et lui demande si sa nuit a été bonne. Il lui répond que non, qu’il a rêvé que sa pipe sacrée était cassée et en effet au réveil sa pipe avait été brisée. Un imprudent inconscient avait marché dessus. Il avait conclu : Vous serez toujours comme ça, même en essayant de bien faire vous ne comprendrez jamais le rapport à cette terre… C’est pessimiste. C’est peut-être une prophétie d’un homme en colère, mais cela me semble très éclairant pour penser le rapport des cultures en régime coloniale : en même temps que la culture dominante désacralise le rapport à la terre, elle massacre les cultures autochtones qui entretenaient avec les vivants et les morts des rapports totémiques et animistes de communauté. La blessure est toujours purulente.

Le jour de mon départ, toute l’équipe du jardin était présente pour me saluer et me souhaiter un voyage prudent. J’avais déjà assisté à un des rituels de départ pour un jeune couple de québécois en formation de maraichers. C’était plein d’émotions exprimée et partagée. Un bon bol d’énergie pour repartir découvrir cette belle île. Merci pour tout !

garden-team

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