# Ecotopie : Gaia Gardens, Santa Fe – Entretien avec Poki Piottin

Après les montagnes, j’ai rejoint Santa Fe et les Gaia Gardens, une ferme urbaine qui a prospéré pendant 5 ans avant que ses fondateurs Poki Piottin et Dominique Pozzo se tournent vers de nouveaux horizons. Nous avons longuement discuté avec Poki. Je voulais filmer l’entretien, mais la caméra m’a joué des tours. Comme la discussion était passionnante, l’entretien deviendra un portrait de Poki (aka Skywalker).

Quand Poki s’appelait Hugues, il était skieur de haut niveau en équipe de France citadine puis sur le circuit FIS. Après une blessure au dos, il a pratiqué la compétition de Roller en ligne dont 2 ans comme professionnel. Comme skieur, il avait des copains Canadiens et Américains et dit avoir ressenti l’appel du Canada et le désir de construire sa cabane en rondins dans les forêts. Il est donc parti en Alaska, mais dit avoir « été rattrapé par l’avidité (greed) », ce qui l’a amené à travailler comme pêcheur l’été et comme moniteur de ski l’hiver en France (notamment aux Arcs et à la Plagne). Le reste du temps était consacré aux voyages.

Comment passe-t-on de moniteur de ski aux Arcs à fermier bio à Santa Fe ?

Il a ensuite voulu s’engager dans des projets plus créatifs et a monté une salle de concert Punk à Seattle qui est devenu très populaire. Sur cette dynamique de succès, il a monté différents business de coaching en entreprise et de conseil en immobilier. C’est à cette époque qu’il a rencontré le bouddhisme et suivi les enseignements d’un maître tibétain pendant 10 ans.

Il dit avoir commencé à avoir des visions de danse sacrée et est parti à Hawaï pour monter des cérémonies de danses sacrées pour soigner : Gypsie Nation.

Il s’est ensuite engagé dans un projet de communauté sur un « land trust » (une propriété collective) et a commencé à se retrouver avec la nature. C’est à partir de ce moment qu’il a « développé de la familiarité intense avec une forêt, des hiboux, des grenouilles, des biches ».

Il a eu envie de prolonger cette reconnexion à la terre et à la nature. Il a alors été pris sous l’aile d’un jardinier en permaculture et biodynamie dont il a suivi les enseignements pendant 2 ans et avec qui il est parti monter un projet de ferme au Mexique.

Au retour à Santa Fe, il a construit une yourte et monté un jardin communautaire avec 12 familles. Puis il a commencé à chercher un terrain pour partager davantage, pour ouvrir son projet aux plus pauvres, pour éduquer et reconnecter la communauté citadine avec les relations à la nature.

Ainsi a commencé le projet Gaia Gardens, sans argent mais en impliquant la communauté. La générosité et le travail ont permis rapidement le développement d’une ferme en biodynamie et permaculture sur 2 hectares qui est devenue rentable (100 000$ de revenu par an). Poki et Dominique ont développé toute une série d’activités d’éducation pour les enfants, pour des délinquants, pour des personnes en rémission d’addictions, pour des handicapés. La culture urbaine de légumes et de plantes médicinales a ainsi permis de tisser les liens d’une communauté autour de la production de nourriture fraiche, respectueuse de la terre et soutenue fondamentalement par une énergie collective.

A partir de la 2e année, une voisine a commencé à mettre des bâtons dans les roues de ce projet, en pointant toutes les effractions possibles à l’émergence d’une activité « commerciale » au sein d’une zone résidentielle. La ville a laissé courir pendant 2 ans. Gaia Gardens a reçu beaucoup de soutiens des médias, d’avocats, de la population. Poki a travaillé avec les autorités municipales pour tenter de réformer les réglementations. Mais face à la persévérance nuisible de la voisine, Poki et Dominique ont décidé d’arrêter la ferme en Aout 2015, après 5 ans d’intense activité créatrice. Il avoue qu’il ressent du soulagement à prendre du temps, à ne plus subir le stress d’un travail 14h par jour, à ne plus devoir assumer des attitudes de domination ou de violence (vis-à-vis des « prédateurs » des productions : lapins, insectes, …), à sortir aussi d’un modèle qui ne peut fonctionner que par une main d’œuvre bénévole ou bon marché (volontaires, stagiaires, woofers).

Ils se sont lancés dans un nouveau projet de Land Trust, communauté rurale autour d’une ferme éducative, avec des projets de camps et d’innovations en agriculture biologique. Ils cherchent un terrain et se posent actuellement la question de la constitution de cette communauté pour que le contrat social soit à la fois unifiant et pluraliste, pour que le sentiment de la communauté soit profond mais que la diversité individuelle puisse exister. Tout un défi passionnant !

Quels enseignements retire-t-on du fait de travailler 12 à 14 h par jour avec les plantes ?

Sa réponse est à la fois profonde et poétique :

« C’est d’abord un rythme « inhumain » qui apprend la patience, et oblige à une connexion avec les éléments que notre monde technologique et motorisé nous fait perdre. C’est ensuite une déconstruction de tout un modèle de rigidité et d’imposition de volonté directrice bien occidental. Dans un jardin, il n’y a rien de droit. Partout des courbes et des ajustements. Partout une acceptation du milieu et une créativité. L’enseignement des plantes, c’est l’introduction dans un modèle qui fait exploser les rigidités pour entretenir la fluidité. C’est alors que l’on peut devenir sensible au langage des plantes. Elles communiquent. Si on leur fait confiance elle peuvent t’enseigner comment en prendre soin, comment les toucher ».

Son mentor lui disait : « les plantes te diront quand elles auront soif », « elles n’aiment pas dormir avec les chaussettes mouillées ». Il partage cette conviction qu’en développant la familiarité avec ce rythme et avec cette fluidité, on apprend donc à comprendre ce langage et à pouvoir s’y introduire avec respect et intelligence.

Enfin, il y a cette idée que la collaboration avec les plantes peut être créatrice de beauté. Il cite Bruce Chatwin qui disait qu’une des fonctions de l’humain était d’introduire de la diversité et de la beauté dans les plantes, en croisant les espèces, en cherchant à produire de nouveaux fruits… Comme Renée à Twin Oaks Farm, Poki souligne le fait qu’une activité agricole respectueuse de la terre et des plantes enrichit l’écosystème et la biodiversité : il me dit que les ornithologues viennent sur la ferme et recensent près de 30 espèces d’oiseaux différents, qu’il y a des serpents ce qui est très rare en milieu urbain et qu’il plante de nombreuses fleurs pour les pollinisateurs…

Motivations

Je partage alors un des constats de mon périple : l’extrême diversité des motivations qui amènent les personnes à s’engager pour une action qui réinvente le rapport à la nature.  Je l’interroge sur ses propres motivations qui me semblent lier aspiration spirituelle et engament politique.

Au principe de son action, il y a une conscience citoyenne qui l’amène à s’engager pour la communauté de façon qui fasse sens en créant des liens et en étant source d’inspiration pour les autres.

« J’avais le désir de retrouver quelque chose de simple, de petit, mais de profond et de fondamental : avoir les mains dans la terre, être en communication avec les éléments, le vent, l’eau, la terre, les plantes, les animaux, faire grandir de la nourriture et la partager ».

Il partage alors une intuition qui me frappe : « J’ai cette conscience très profonde que quand tu développes une familiarité avec un lieu, quand tu deviens attentif et sensible à ses détails, quand tu communiques avec ses habitants, la terre fait de toi une sorte de source de créativité indigène. La créativité peut s’exprimer dans le fait de faire pousser des plantes, ou d’écrire de la musique, ou de faire de la thérapie. » Renaître comme indigène, être recréé indigène d’un lieu, je trouve cela  très beau !

Vient ensuite la dimension sociale du projet : « Dans ce type de jardin, on fait pousser des plantes mais on tisse des relations. Je m’arrange toujours pur ménager des espaces de liberté et d’échanges. Les tâches sont suffisamment simples pour autoriser et favoriser la discussion. Et cet espace était conçu pour que les gens qui viennent sur la ferme puissent se l’approprier. »

Courants contraires

Je remarque que son voisin rétif est aussi un exemple d’obstination dans la fermeture et dans la volonté de nuire. A une petite échelle, c’est un exemple des forces destructrices de l’environnement et de la possibilité de vivre ensemble. Je l’interroge sur sa façon de penser cette action au milieu des forces de fermetures et de destructions si puissantes dans le système néo-libéral.

Une nouvelle fois la position de Poki m’apparait pleine de sagesse et de profondeur. La conscience globale des catastrophes et violences internationales semblent digérée à travers l’un des enseignements bouddhistes : la compassion ne consiste pas à souffrir passivement. « Ça te brise le cœur et te donne la motivation pour agir dans l’ouverture ». Cette mise en mouvement positive se traduit à plusieurs niveaux :

Poki exprime d’abord une exigence et une responsabilité démocratique : il y a un devoir d’agir dans les espaces de liberté, de communication, de créativité, laissés par nos démocraties (au niveau local, au niveau de villes comme Portland, …). Ne pas laisser ces espaces en jachères, c’est aussi une forme de résistance à la violence majoritaire.

Ensuite, il ne faut pas exagérer le caractère minoritaire de la résistance. « Il y a beaucoup de personnes qui sont désireuses de partager cette ouverture, remarque-t-il. Dans cet espace d’ouverture, beaucoup de générosité peut s’exprimer : j’ai toujours trouvé de l’argent, bénéficié de dons, et vivifié le projet avec des amitiés partagées ».

A un niveau plus spirituel, Poki me dit qu’il répond à une sorte d’appel (un « devoir karmique » dans son vocabulaire bouddhiste) à proposer un type de vie et d’organisation à la fois simple, accueillant et inspirant parce qu’il propage et répand quelque chose de sain (la sobriété, la générosité, la conscience de ses affects, l’écoute, l’action pour les plus démunis…). Dans cette exemplarité, il veille à produire des projets qui soient « réplicables », i.e. audibles par le commun et pas seulement par des écolo-marginaux convaincus.

Quant au problème des rapports entre l’action locale et l’existence de problèmes globaux, Poki souligne l’idée que le petit peut être puissant. Son modèle est celui de l’acuponcture : cela agit de façon très locale et très précise mais peut modifier les équilibres d’un gros corps. Le sain bien appliqué peut avoir des effets insoupçonnés et qui nous échappent. Et les façons de toucher, de marquer par nos actions dans le fond nous dépassent : « On ne sait pas qui on inspire ou comment, ni par quels enseignements ». C’est un appel à la modestie. C’est aussi l’espoir de transformations au-delà des projections.

Enfin, Poki revient aux enseignements fondamentaux de la nature : la générosité et l’équilibre. « Ce que nous apprennent les plantes ou les écosystèmes, c’est de ne prendre que ce dont nous avons besoin, sans accumulation, et de créer avec cela pour un équilibre plus globale. Chaque être naturel a une fonction dans ces équilibres. C’est un bon exemple de ce qu’on peut essayer de faire comme humain. Comme espèce, on a créé un truc très compliqué. Il est possible que l’humain ait à redéfinir cette fonction et cet équilibre dans Gaia ».

Je me souviens d’un témoignage de Laurent Bécue-Renard, réalisateur du film Of men and war (2014), qui suivait des vétérans américains de la guerre d’Irak et d’Afghanistan souffrant de stress post-traumatic, et qui disait que la caméra s’insérait dans le dispositif thérapeutique comme une validation des expressions personnelles, à la fois écoute inconditionnelle et réceptivité totale. J’ai l’impression que la technique a joué un rôle analogue dans ma rencontre avec Poki, même si très peu a été effectivement enregistré au final ! Quand l’originalité créatrice d’un parcours personnel rejoint une écoute, il y a une authenticité précieuse et une joie simple mais intense à l’échange. Merci de tout cœur Poki pour cette rencontre et bon vent pour les prochaines aventures !

Damien

YBastide !

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2 réflexions sur “# Ecotopie : Gaia Gardens, Santa Fe – Entretien avec Poki Piottin

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