Portland est sans doute la ville la plus dynamique dans l’activisme écologique que j’ai eu la chance de traverser pendant mon périple. Les équipements pour vélo sont remarquables. Les actions pour faire de la ville un lieu d’habitation et non un espace de passage fleurissent, comme les actions de réappropriation des carrefours par le mouvement City Repair et son extraordinaire fondateur, Mark Lakeman, actions qui essaiment à travers le monde. La permaculture conquiert le tissu urbain, les écoles et les cours des maisons. Le musée d’art de Portland fait la part belle aux arts amérindiens dans une perspective assumée de critique de l’idéologie coloniale et de poétisation de l’espace urbain.
Creationship
Ce soir je dors dans le Creationship. La maison de La, Kaela, Wren et Ajine. La a fait de sa demeure une œuvre d’art où le moindre espace est habité par des symboles et des renvois à une Inde adorée. L’ambiance est colorée et les senteurs d’encens ouvrent d’emblée vers les horizons spirituels d’orient. La est une yogini artiste, engagée dans les mouvements spirituels et de permaculture, amie de Poki Piottin. Elle travaille sur les mots, et aime confectionner des mots valises qui ouvrent des significations inédites. Son site, MirrOracle, donne un aperçu de son univers foisonnant, coloré et ouvrant sur les espace poétiques et spirituels de l’expérience créative. « Imaginature » (imagination et nature) ou « illuminature » (illumination et nature) sont parmi mes préférés. Elle a tenu un restaurant végétarien et un bar à jus pendant 13 ans à Seattle. Elle reste convaincue que la nourriture est le fondement de la connexion à la nature et du lien social. Elle voyage très souvent en Inde et à Bali depuis 13 ans et maintient un petit business de tissus et autres artisanats : « Pour répandre la beauté sur le monde » dit-elle en rigolant.
Elle connaissait Daniel Odier, du moins ses livres, et nous avons échangé autour de ses recherches spirituelles. Il y avait entre nous des affinités et une sympathie profonde. On discute de ce qui peut être tenu pour réalité, elle est curieuse de mon métier de professeur de philosophie, et elle m’interroge sur mon impression d’Européen aux Etats-Unis. En me saluant, elle me dit : « j’ai l’impression d’avoir rencontré un bon ami ». Impression réciproque !
Le grand œuvre de La est maintenant de construire Atlan community et de la faire la plus belle et la plus inspirée possible. « Life is art » !










Au cœur de la Columbia Gorge, à 100 km à l’est de Portland, La et un groupe fondateur de six membres ont trouvé, il y a 5 ans, une terre pour réaliser un projet de communauté intentionnelle qui mûrissait à Portland depuis 10 ans.
Leur objectif est de développer un centre de création et de permaculture. Leur déclaration fondatrice annonce cette ambition : « Atlan fournit un sanctuaire pour la création d’une culture durable (« sustainable ») à travers l’intégration holistique du soin, des arts, et du design. Notre éco-village met en œuvre la permaculture et les principe régénératifs en s’engageant dans un réseau de communautés en résonance ».
Le principe qui permet d’accueillir une grande diversité spirituelle, professionnelle et personnelle est donc la permaculture. La permaculture est née dans les années 1930 comme une branche de l’agriculture qui prétendait passer d’une exploitation de la terre à une compréhension des modes de collaborations entre plantes et animaux permettant une production qui accroisse la biodiversité au lieu de l’épuiser. Elle s’est depuis élargie à tous les aspects d’une communauté entre les vivants en incluant la production de nourriture, l’éco-construction, la production d’énergie, les relations ouvertes et bénéfiques entre les humains, devenant ainsi un principe global pour la constitution d’une culture abandonnant les schémas destructeurs, épuisant les hommes et les ressources (« depletion ») pour construire des dynamiques de création et d’accroissement de la qualité de vie (« repletion »). Les générations futures sont envisagées comme l’horizon à partir duquel on peut formuler cette ambition de transmettre une terre et une culture en meilleure condition que celles que l’on a reçues grâce à une nouvelle habitation de la communauté des vivants.
Atlan en est encore à une phase de construction. Mais déjà un jardin communautaire produit l’essentiel des légumes consommés sur place. Tous les samedis matin, deux heures sont consacrées au travail commun. Des stagiaires s’occupent du jardin par ailleurs en échange d’un accueil sur place. L’énergie est produite grâce au solaire. Et l’artefactory est un grand atelier flambant neuf qui accueille le travail artisanal des membres et de tous les individus trouvant dans ce lieu un support à leur projet créatif. La y avait son atelier de céramique. Et les machines à bois étaient utilisées pour aménager un bus-tiny home pensé comme habitat autonome, mobile et écologique avec tout un ensemble de systèmes d’alimentation solaire, de récupération et de traitement des eaux usées, d’isolation et même de motorisation les moins coûteuses d’un point de vue écologique. Les projets futurs consistent à créer une maison commune et des petits chalets (les « cabins ») pour pouvoir ensuite héberger des stages, des séminaires et des fêtes permettant d’accueillir et de répandre la permaculture.
Méditation
J’ai été invité à une soirée festive autour d’une Tiny House. J’y ai rencontré Katerina et Matt. Katerina vient du Salvador et avait grandi à Miami avant de rejoindre la côte ouest. Matt est un pilote de parapente passionné, qui a vécu 5 ans au Népal et a travaillé pour Karma flights une association d’écotourisme qui soutient les projets de développement au Népal grâce à l’accueil de pilotes du monde entier. Le réseau créé a notamment permis de récolter 500 000 $ au moment du tremblement de terre pour venir en aide aux sinistrés. Il était aussi d’une grande sagesse dans ces recherches spirituelles à la fois profondes et joyeuses.
Nous avons participé à une méditation proposée tous les dimanches matin par des membres de la communauté. Après le silence, une discussion s’est engagée sur les enseignements de mon voyage et sur l’avenir du monde en ces temps troublés. Que faire de toutes les horreurs et de toute la souffrance du monde ?
Matt avait une histoire à raconter :
Un jeune moine est anxieux, stressé par la souffrance du monde.
Le maître lui demande d’aller chercher un verre et 2 poignées de sel et de le rejoindre au bord du lac en contrebas.
L’élève va chercher un verre et deux poignées de sel et rejoint le maître sur la rive, toujours anxieux, stressé, et en colère par la souffrance du monde.
— Maintenant, demande le maître, rempli le verre d’eau et jettes-y une poignée de sel.
L’élève s’exécute.
— Qu’est-ce que tu ressens ?
— C’est horrible, c’est dégueulasse, c’est insupportable.
—Bien, dit le maître, maintenant, jette une poignée de sel dans le lac et bois un verre d’eau.
L’élève s’exécute.
— Qu’est-ce que tu ressens ?
— C’est frais, c’est désaltérant, cela fait du bien.
Il en est de la souffrance comme du sel. Elle est toujours présente. Il n’est pas en notre pouvoir de l’éliminer. Mais il est possible de la diluer en regardant selon une perspective plus large les sources de joies et de rafraîchissement de l’univers.
En partant, Matt, le facétieux mystique, m’a remis une amende de la part du BSQO, le Bureau du Maintien du Statu Quo de l’Oregon, qui m’accusait d’awesomeness et m’engageait à considérer les effets désastreux de mes actions sur la morosité, le fatalisme et le statu quo. Sans doute voler permet-il d’aimer concilier la profondeur et la légèreté !
Damien


















