# Trumpinette : A place to stay ?

Souvent au cours du voyage, les personnes rencontrées me demandaient : « Quel a été ton endroit préféré ? As-tu trouvé un lieu où tu voudrais rester ? »

Et inlassablement, alors même que j’étais immergé dans une beauté époustouflante, que je rencontrais des personnalités créatrices et libérées, que j’admirais l’efficacité des procédures et la fluidité des organisations, que je constatais des réussites coopératives et égalitaires, que je tombais amoureux, alors même que ma vie, fluide, s’intensifiait et exultait, sans hésiter, comme une évidence, je répétais : « non, nulle part ! ».

Pourquoi non ? Pourquoi cette question semblait-elle inexorablement « hors-sujet » ?

J’arguais spontanément que la préoccupation d’établissement était hors de mon errance intentionnelle. Comme si l’imagination était saturée de la présence, du témoignage de reconnaissance et du départ léger.

Mais je sentais sourdre, un peu sous la surface, le manque qui appelle, d’un côté, et, de l’autre, la peur qui fait fuir. Je reconnaissais aisément que quelque chose de la culture européenne — de la conscience historique, de la promotion de valeurs non-marchandes et d’un raffinement esthétique, de l’esprit critique et des liens amicaux — me manquait pour envisager autre chose qu’un passage. Un peu plus enfouie, je trouvais la peur, massive et sombre, suscitée en moi par la violence de la société américaine. Violence d’abord de la compétition économique comme valeur hégémonique, de l’idolâtrie obscène de l’argent et des inégalités sociales produites et aggravées par un néolibéralisme aveuglé de puissance. Violence ensuite de l’absence d’éducation et de l’inculture brutale d’une masse énorme d’américains voués à une désinformation éhontée et aux idéologies les plus irrationnelles. Violence enfin dans le déploiement des affects guerriers, d’agressivité, de domination et de destruction, par les armes à feu, par la folle conduite des véhicules rugissants et par les destructions constantes de nos compagnons de nature : sols, plages et océans, animaux et fleurs, montagnes et forêts. Il fallait échapper !

Quand je suis arrivé en Janvier 2016 en Floride, Trump n’était que le clown improbable qui amusait autant qu’il déroutait la primaire républicaine.

Je croisais beaucoup de supporters de Bernie Sanders qui se reconnaissaient dans les revendications portées par le sénateur du Vermont : un service public gratuit pour les plus faibles (notamment dans l’éducation et la santé), une justice sociale contre les inégalités du néolibéralisme (notamment par la taxation des plus hauts revenus) et surtout la promotion de l’urgence climatique et de la nécessaire transition énergétique (avec l’abandon des gaz de schiste et des investissements dans les énergies fossiles) parmi les trois principales priorités du moment actuel. Il y avait de l’espoir parmi les radicaux critiques du modèle américain consumériste, aveuglé de cupidité et destructeur de la nature.

Déjà la peur du fascisme affleurait chez la plupart de mes hôtes, atterrés du spectacle de cette instrumentalisation de la peur et du ressentiment des petites gens, retournées par quelque oligarque menteur contre plus faibles qu’eux. Bouc-émissaires et ennemis intérieurs collectaient des collectifs nauséabonds. Haine de l’autre, haine de la nature, oubli du réel. Mais si l’on déplorait souvent l’émergence de ces discours, la prise de pouvoir semblait bien improbable. Je me souviens avoir croisé à College Station au Texas, un professeur d’éthique environnemental démocrate, qui, par stratégie, allait voter Trump à la primaire républicaine pour favoriser Clinton en cas de duel probable ! Ou encore, j’entendais cette rumeur selon  laquelle Trump eut été un allié de Clinton, infiltré en quelque sorte dans la primaire républicaine, pour favoriser l’élection finale de la démocrate, une fois la zizanie produite dans le camp adverse…

Et partout, sans jamais trop y croire, je demandais, qu’allez-vous faire en cas de victoire de Trump ? Et la perspective s’annonçait comme une catastrophe honteuse. Et la réaction spontanée était souvent un désir de fuite des Etats-Unis, vers le Canada ou l’Europe. Et je voyais les soupirs et les yeux effrayés à la perspective du triomphe de cette Amérique si violente, si belliqueuse, si loin des conditions minimums d’une pensée critique.

Je n’ai croisé de supporters de Trump que sur les routes. Dans la ruralité, où les soutiens s’affichaient à grands coups de banderoles dans les champs et au fronton des maisons. Sur des pick-up gros et noir, fumants et gueulants. Sur un parking de station-service, en surprenant une discussion entre des hommes parlant du dernier meeting et reconnaissant la force charismatique de l’horrible blondin.

L’Amérique qui m’a si généreusement accueillie, qui inventait des rapports plus respectueux avec la nature et au sein des organisations humaines, qui créait avec effervescence des alternatives, qui se battait pour l’éveil des consciences et la fraternité entre les vivants, cette Amérique n’a pas voté Trump.

Damien

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Une réflexion sur “# Trumpinette : A place to stay ?

  1. Oui, oublier qu’il existe aussi cette Amérique lumineuse que tu as rencontrée en prenant le temps, en cultivant la lenteur pour contourner ce mouvement de fond (ou de surface ?) complètement fou et destructeur, ce serait abdiquer encore une fois et laisser l’ombre s’étendre davantage. Et l’Amérique n’est pas seule concernée…

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