# Dernière nuit à Vancouver — Hommage de survivant

31 Juillet 2016

Dernière nuit à Vancouver

Feux d’artifice sur Vancouver pour le « BC day ». La musique grandiose, martiale et généreuse vient rehausser un feu d’artifice grandiloquent. Comme tous les feux d’artifices, il y a une surenchère dans la hauteur des pétards, la diversité des couleurs, les formes et les trainées. Les éclats s’étagent sur 3 ou 4 niveaux. Et quand un pétard surnage par sa rondeur, sa lumière, sa complexité des oh et des ah s’échappent de la foule saoulée. Rien de moins subtile mais cela emporte les cœurs.
C’est étonnant. C’est comme si ce feu d’artifice m’était adressé et honorait la fin de mon voyage. Vanité sans doute, mais petit baume sur un ego bien malmené !

Robert et Betty

Mes hôtes sont parfaits pour finir le séjour. Généreux, prévenants, sensibles à ma démarche, retraités toujours en recherche et souples, avec des projets de voyages prochains en vélos et en Europe. Ce soir avant le feu d’artifice ils m’ont offert le restaurant dans une institution de Vancouver, le restaurant végétarien the Naam, fidèle à lui même depuis 50 ans. Betty était enseignante auprès d’enfants surdoués puis formatrice en nouvelle technologie pour les enseignants, défenseuse frustrée d’une éducation publique délaissée en Colombie Britannique et qui découvre le yoga depuis 3-4 ans. Robert était psychologue. Il a une tête de Carl Roger avec un crâne lisse et des petites lunettes qu’il réajuste régulièrement comme s’il rythmait sa réflexion. Il a cette observation sensible et directe de l’homme qui a fréquenté toute sa vie l’équivocité humaine.

Parfois des questions nous font plonger sous l’anecdote dans les arcanes de l’histoire, de la personnalité ou de l’état affectif. « Te définirais-tu comme un être spirituel ? » et puis comme une flèche : « Y a-t-il quelque chose qui te rend triste ? parce que j’observe ton grand calme, parfois tu t’éclaires puis tu repars dans une zone où je ne sais pas ce qu’il y a mais qui semble sombre»… C’est bien vu : il y a un fond terne réveillé à Seattle et qui s’obscurcit à la perspective du retour. Alors je commence par nier : rien ici ne me rend triste. Puis l’émotion se libère et j’évoque Benoît avec une tristesse qui ne s’était pas exposée comme cela depuis bien longtemps. Je pouvais difficilement parler, je tâchais de calmer la crise de larme et de regarder cette tristesse. Ils étaient là, témoins de cette mémoire réactivant la brûlure de la solitude. Il a dit des paroles apaisantes : que les vraies relations étaient celles de la douleur et il a évoqué son mentor qui aurait demandé : « penses-tu que tu as honoré la mémoire de ton ami pendant ce voyage ? ».

Hommage de survivant

Oui, pédaler hors de soi c’est fréquenter ses morts. Souvent dans l’effort, il n’y a pas la place à la tristesse. La noirceur se dit la plupart du temps inquiétude ou colère. Mais quand tout cela se repose, alors oui, la mémoire réveille ces tristesses profondes, ces hommages aux ruptures qui révèlent les liens fondateurs. Et le processus peut se déployer : triste, gris mais profond et insoupçonné. D’où sors-tu tristesse pour me terrasser comme au premier jour ? Je croyais t’avoir domptée. Je croyais te connaitre comme une vieille amie. Et je te découvre à gorge fermée et voix fébrile, ébranlement total.

On pourrait croire que le voyage te rend confiant et fort de l’adversité surmontée. Il n’en est rien à ce moment : fragile comme un cristal glacé, bougeant à peine de peur d’exploser en mille éclats, rétrécissant tout petit enfant. Il y a pourtant de la reconnaissance à Robert, d’avoir vu la fissure, d’avoir été présent à cette émotion qui vient boucler la boucle.Tout mon voyage a été un hommage du survivant que je suis, à Benoît, à tous mes morts, et aux vivants miraculeux … Aujourd’hui mon grand-père cycliste aurait eu 90 ans.

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