# Ecotopie : Monan’s Rill Community

Ce nom étrange est un souvenir du propriétaire écossais des terres au 19ème siècle. « Rill » signifie ruisseau en écossais et le terme a permis de trancher le débat de la dénomination lorsque les fondateurs de la communauté acquirent 440 acres de terre dans les collines surplombant la ville de Santa Rosa, dans le Sonoma County en 1974. Les maisons ont suivi, un peu négligées par manque de moyens. Frankie et Penny qui habitent la Longhouse depuis 24 ans seront mes joviaux hôtes pendant mon séjour.

Propriété collective

Il n’y a pas de propriété individuelle, ni des terres ni des maisons à Monan’s Rill. L’ensemble relève d’un « general partnership », la structure juridique permettant la propriété collective : la coopérative constituée par les membres est donc propriétaire des maisons, des forêts, des chemins et des bâtiments collectifs (la salle de réunion et de fête, les ateliers, les jardins, les étables, les infrastructures…). Le processus pour devenir membre est volontairement long et sélectif : cela commence par des visites courtes, puis des locations pouvant durer plusieurs années, puis la rédaction d’une lettre à la coopérative pour exposer l’engagement dans la communauté pour aboutir enfin au statut de membre. Il faut alors s’acquitter de frais d’entrés (20 000 $) et de l’équivalent de la valeur de la maison qui est attribuée. En cas de sortie de la coopérative, la somme équivalente à la valeur de la maison est reversée avec un intérêt indexé sur l’inflation ainsi que 90% des frais d’entrée. Frankie m’indique qu’aujourd’hui, la somme équivaudrait à 300 000 dollars pour un couple autour de 40 ans. Ce qui n’est pas anodin et tient de fait éloigné de la communauté les pauvres et ceux qui décideraient de peu travailler.

La construction de règles communes à partir du consensus

La communauté est composée aujourd’hui de 22 adultes et 4 enfants. La plupart appartiennent à une  classe moyenne éduquée, travaillant ou ayant travaillé dans des emplois de services sociaux : j’ai croisé beaucoup de profs ou d’éducateurs de tous ordres (enseignants, directeurs de programmes parascolaires, orthophonistes, …).

Toutes les décisions sont prises à partir d’un consensus. Les membres se retrouvent officiellement dans la maison communautaire pour les 2 réunions mensuelles. De nombreux comités se retrouvent par ailleurs pour faire fonctionner l’ensemble.

Penny, forte des compétences construites dans cette organisation communautaire, intervient comme facilitatrice dans de nombreux projets au sein du Sonoma County pour aider les groupes à entendre des positions divergentes, accepter et gérer des conflits, faire émerger des compromis acceptables par tous. Elle fait partie de groupes de facilitations pour aider des communautés à se reformer après le feu de cet automne : comment repartir après un traumatisme et s’organiser face à une telle menace. Elle s’investit aussi dans un comité de facilitation concernant la gestion de l’eau et pour la prise de conscience de l’habitation d’un même bassin versant. Elle s’est formée auprès de l’Occidental arts and ecology center : centre impressionnant de sensibilisation, de formation, d’expérimentation de soins de la terre et de techniques pour laisser la résilience de la nature s’exprimer. Je ne pourrais malheureusement pas les voir cette fois !

Son approche de la gestion de conflits m’a beaucoup intéressé : gérer les conflits signifie pour elle savoir vivre avec, les accepter comme une situation qui fait grandir et changer. Par exemple, la grande menace à laquelle la communauté doit faire face est la menace d’incendies. Le rapport du GIEC avait pointé en 2014 l’accroissement des feux de forêts sur la côte ouest américaine comme l’un des effets du réchauffement climatique. Le danger s’est malheureusement confirmé avec le plus grand incendie jamais connu par le Sonoma County en automne dernier. Il en a résulté de grandes discussions, en interne et avec les services de pompiers, pour savoir comment prévenir les feux et protéger les maisons. La question a produit du dissensus  à propos de la conservation ou la coupe des conifères sur la propriété. Ils sont en effet censés bruler plus vite donc propager le feu, mais sont aussi peut-être partie de l’écosystème actuel et des sujets d’attachements ou d’émotions pour certains membres de la communauté qui ont développé une relation avec eux. La question a d’abord affronté deux personnes, puis d’autres se sont engagés. Les deux personnes en désaccord se sont engagés ensemble dans la recherche d’informations, sont allées ensemble à des formations, et tâchent ainsi de discuter ensemble à partir de perspectives divergentes. Un bel exemple de tentative de construction d’une règle par processus collectif de discussion.

Vivre avec la terre

Au cœur de la vie communautaire, un jardin bien productif, un verger luxuriant et prometteur, des poules pour les œufs et 3 chèvres pour le lait. La récolte des petits pois se faisaient ce matin à 7 ou 8, avant la construction de nouvelles piles de compost. Il n’est pas question d’autosuffisance ici, mais du lien conscient de la nourriture avec la terre et de produits qui construisent le lien social.

L’eau est une sérieuse préoccupation dans cette région de la Californie. L’alimentation est assurée par une source et un puits. L’eau est ensuite stockée dans 3 cuves au sommet de la communauté. Depuis la sécheresse, un suivi précis des consommations personnelles a été instauré, ce qui a permis de diminuer de moitié la consommation de la communauté. Deux étangs qui contiennent l’eau de pluie et sont destinés à un usage récréatif d’ordinaire pourrait servir de réserve d’eau en cas d’incendie à combattre.

Sur le terrain, à l’entrée et près du jardin trônent parmi les plus beaux chênes que j’ai rencontrés depuis le début du voyage : multicentenaires, magnifiques, si puissants et mémoires si riches.

Discussions passionnées avec Frankie et Penny

La curiosité et l’enthousiasme de Frankie et Penny nous ont entrainés dans des discussions savoureuses et passionnées. Penny et Frankie se sont rencontrés alors qu’ils étaient tous deux engagés dans l’environmental education : l’éducation par la confrontation à plus vulnérable et plus grand que soi, les plantes, les animaux et leur découverte dans une vie en forêt. Penny est ensuite devenue professeur de science au collège de Santa Rosa, alors que Frankie a dirigé le Boys and girls club de Santa Helena. Les liens entre les enseignements de mon voyage, la philosophie environnementale et les problèmes concrets que doit affronter une communauté qui met la préoccupation écologique au cœur de toutes ses décisions se sont révélés très enrichissants.

Nous avons aussi échangé sur nos pratiques d’enseignant : la pédagogie coopérative et le travail sur une prise de conscience réflexive des interactions des profs avec les élèves, TESA teaching expectation and student achievement !

Un soir, Penny m’a embarqué au Santa Rosa Pacific Zen Center, avec la présence de John Tarant, l’un des enseignants du lieu. En s’inspirant de la tradtion du zen chinois du koan (des contes absurdes en apparence mais dans lesquels se logent les éclairs de lucidité), la pratique peut infuser tout le réel et la méditation s’appliquer à toutes les situations de la vie. La technique de destruction massive de toutes les attentes, constructions, rigidité pour trouver la spontanéité et la présence trouve un écho familier avec les enseignements de Daniel Odier.

Voici le conte du soir qui accompagnait la méditation et donnait lieu à quelques explications ensuite :

« Un gouverneur rencontre un maître.

— Maître, pratiques-tu ? demande le gouverneur.

— Non ! Si je pratiquais ce serait un désastre.

— Si tu ne pratiques pas, à quel élève peux-tu enseigner ?

— A toi !

— Comment peux-tu affirmer que je suis quelqu’un qui pratique ?

— Comment aurais-tu pu surmonter la faim et le froid pour arriver jusqu’ici si tu ne pratiquais pas ? »

Merci à tous les membres de Monan’s Rill de m’avoir nourri et abreuvé d’une façon ou d’une autre !

Damien

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