# Que fais-tu de tout ce silence ?

Hier une vendeuse dans une station-service me demandait : « Est-ce qu’on se sent seul (lonely) parfois ? ». Cela a fait résonner une des premières questions que m’a posées Hannah quand je suis arrivé à Green River : « Que fais-tu de tout ce silence ? »

A vrai dire j’éprouve parfois quand je suis fatigué combien le soutien d’un compagnon pourrait être précieux, pour partager les décisions, pour équilibrer les affects, pour sentir une présence adjuvante.

Mais la plupart du temps, je n’éprouve pas de souffrance à la solitude. Il faut dire que, pour peu que l’on porte attention à soi, on ne se sent pas exactement dans un temple vide ! En fait « tout ce silence » est bien bruyant et je m’amuse à repérer différents types de pensées.

Il y a d’abord le bruit de fond. Ce sont les préoccupations concernant l’action ou les pensées obsessionnelles. Par exemple, quand tu perds tes lunettes de soleil dans le désert, et que tu repasses cent fois le film de la soirée pour savoir où et quand tu as pu les égarer. C’est un mélange d’inquiétude et de calcul pragmatique parfois bien efficace. Ce serait simplement bien agréable, une fois le constat fait de la possibilité de survivre à la chose et la prévision d’un achat prochain, de laisser le mélange de culpabilité et d’énervement derrière soi.

Il y a ensuite les sortes de rêveries qui font que j’oublie un moment l’effort, le geste de pédalage, la concentration se restreint aussi et je perds un peu la présence au grand paysage. Elles m’emportent soit vers des réminiscences joyeuses, soit vers de chers amis, soit vers de futurs projets. Il est souvent doux de s’y adonner mais cela ne fonctionne pas comme apparition volontaire. On s’y retrouve plongé et l’on s’en aperçoit souvent quand on en est tiré.

Il y a des instants réjouissants où des idées émergent de ces discours intérieurs. Elles frappent par leur nouveauté. Elles sont souvent les prémisses d’articles que je commence à composer en roulant ; « elles viennent quand il leur plait, non quand il me plait », (Rousseau, Confessions, livre 4).

Il y a les moments de présence à soi accompagnant l’effort. Là encore, le bruit de fond est l’état diffus du corps : la sensation générale, l’état de fatigue, l’état des douleurs éventuelles, le rythme à ajuster. Les réglages se font souvent de façon automatique. Et puis, il y a des moments de concentrations intenses : quand l’effort est plus soutenu, que la journée touche à sa fin, que le vent est défavorable ou que la route s’élève. C’est souvent là que la respiration se fait plus profonde et que les contrôles des durées apparaissent spontanément. Il y a paradoxalement, une forme de silence qui se fait dans l’effort soutenu (entrecoupé bien sûr du bruit de fond qui souvent juxtapose à cette présence des calculs pour maîtriser l’effort). Ce sont aussi les bons moments pour jouer avec cette respiration qui occupe beaucoup de silence.

Enfin, il y a ces quelques instants de silence. C’est une pure présence qui pourrait se passer de tout commentaire. Elle se perçoit parfois quand le paysage nous convoque de sa beauté, de sa grandeur ou de sa brutalité, comme les vallées de Zion National Park, de sa vulnérabilité et de sa fragilité, comme les fleurs dans le désert, ou encore de façon insoupçonnée entre deux ritournelles mentales. C’est rare et précieux.

Sadghuru a une formule apparemment humoristique mais qui vaut la réflexion : « Si l’on s’ennuie quand on est tout seul (alone), manifestement on est en mauvaise compagnie ! ».

On est rarement tout seul dans sa tête. On peut au moins s’efforcer d’être, à soi-même, une agréable compagnie !

Damien

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