# Disney National Park

Depuis un bord de piste cyclable à Washington, Utah.

Je suis sorti de la zone touristique des parcs nationaux. Capitol Reef, Bryce Canyon, Zion que j’ai traversés et admirés, sont autant de passages obligés pour tous les européens qui « font les parcs » de l’Ouest Américain.

« Faire les parcs » m’a toujours paru une expression étrange. Il n’y a bien évidemment ni fabrication, ni instauration dans le passage touristique par des « attractions », fussent-elles naturelles. C’est comme s’il y avait une tâche : « faire le tour des parcs », et que cocher des noms sur la liste suffisait : quel que soit le moyen de transport, quelle que soit la brièveté des moments passés sur place, quelle que soit la foule ou la solitude, quelles que soient la disponibilité et la présence accordées à ces paysages à vous couper le souffle. Mais peut-on encore plaisanter, sur la boue de Bryce Canyon, avec son groupe de Marseillais tout droit descendu d’un bus de voyage organisé si on a le souffle coupé ?

Bien sûr, tant de beautés veulent être partagées. Et tous ne peuvent pas venir à vélo, marcher, se taire, éprouver la solitude face à ces sublimes espaces. Il n’empêche, une telle concentration de passage, d’affairement à passer devant la beauté, et de foule qui passe parce qu’il est d’usage d’ici passer, interroge.

Dans le même temps, l’organisation américaine pour canaliser ces flux en essayant de réduire les impacts désastreux est « admirable ». À Zion et à Bryce, des navettes transportent les badauds de point de vue en point de vue, ou vers des départs de sentiers. Quand le flux sort des doubles bus pour se ruer vers la balade près de la Rivière à Sinawa Temple, au fond de la vallée de Zion, il y a une répulsion pour le voyageur solitaire et une interrogation sur le type d’expérience du lieu que l’on peut faire ainsi. Quand j’avais subi ces bus, il y a 3 ans, après avoir marché 5 jours seul à travers les parcs, j’avais eu la désagréable sensation de l’enfermement dans une boite là où les reliefs sublimes alentour appelleraient le plein air, de la passivité contraignante le cul posé sur un fauteuil au rythme des arrêts commentés et de la promiscuité avec une concentration excessive d’autres touristes. Cette année la dégustation à vélo était parfaite.

Alors bien sûr la beauté frappe et tous étaient frappés ! Partout dans ces parcs cela parlait français. Des « whaou », « magnifique ! », « splendide ! », « Que c’est beau ! », j’en ai entendus. Souvent. Mais quand on commence par se mettre au premier plan des photos devant ces merveilles, on reconnait que notre action compte plus que le paysage, que la fierté « d’y avoir été » prime sur la présence au lieu, que l’ego tente encore de s’approprier ce lieu qui devrait le faire exploser dans l’espace, et que l’on prend les mêmes photos des mêmes points de vue que des millions d’autres egos, encore une fois, cela interroge. Les américains aussi aident à consommer leurs paysages : ils aménagent des « scenic bypass » et des « scenic overlook » et des « scenic turn out ». Bientôt des espaces prévus pour placer des pieds d’appareils photos pré-cadrés pour vous pré-mâcher aussi la consommation du voir.

Dans les parcs, il y a une sorte de recueillement qui fait que la foule se contient. Mais alentour quel désastre ! La circulation se fait tellement agressive que je me suis doté aujourd’hui d’un petit rétroviseur, en même temps que j’ai réparé mes 2 rayons cassés de la roue arrière, au Zion Bike Shop. La foule amène aussi l’argent en masse parce qu’elle consomme en masse. Et il n’est alors plus du tout question de quelque hospitalité possible, même si j’étais transi et trempé quand je suis arrivé sous la pluie à Bryce. Le touriste ne peut pas être l’ami auquel on offre l’hospitalité. Et par « résurrection caricaturale »*, comme dirait Baudrillard, la « bienvenue », à peine morte, reparaît dans une forme mercantile, et s’affiche sur les pancartes des hôtels.

Ces parcs condensent véritablement des merveilles. C’est cette concentration qui est extraordinaire et qui produit ce sentiment de sublime, i.e. cet écrasement vertigineux de l’imagination qui essaie d’embrasser la grandeur ou la puissance qui la dépasse. En offrir l’expérience au grand nombre peut être magnifique. En avoir fait un objet de consommation ne cesse d’interroger.

Damien

* : Jean Baudrillard, La société de consommation, ses mythes, ses structures, 3ème Partie, Editions Denoël 1970. Cf. la Carte Postale.

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2 réflexions sur “# Disney National Park

  1. no mater what kind of intellect you have, it is never enough to grasp the nature of existence (sadhguru)
    …..beauty is a sign of something else….

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