# Ecotopie : University of North Texas – Giovanni Frigo, portrait d’un « international doctorate student »

J’ai contacté Giovanni Frigo par le truchement de Baird Callicott qui m’avait dit : « il vient aussi des Alpes et je pense que vous avez des choses en commun ! ». De fait, le conseil était avisé. Giovanni a été un guide précieux à travers Denton et plus encore un compagnon avec qui j’ai développé une amitié profonde.

Giovanni a un parcours intéressant. Il a été patineur de vitesse de haut niveau avant de devoir céder sur son désir de professionnalisation du fait de problèmes de dos récurrents. Pendant 9 ans, sa vie a été perturbée par une inflammation constante du nerf sciatique jusqu’à ce qu’une intervention chirurgicale l’année dernière ne vienne mettre un terme à ses douleurs. Après son Master à Vérone et un Erasmus à l’EHESS, d’abord en histoire des religions puis en philosophie, il a commencé à s’intéresser à la philosophie environnementale par l’aspect pratique, en construisant une maison passive chez lui à Asiago. Il a alors travaillé 2 ans comme charpentier pour une entreprise de maisons à haut-rendement énergétique avant de postuler sur un coup de tête à l’UNT pour un doctorat, où il a été accepté comme Doctorate students. Il gagne 1400 $ par mois pour donner 3 cours et prendre autant de cours qu’il veut en même temps qu’il rédige sa thèse. Il profite d’une bourse pour prendre le plus de cours possibles et fait actuellement un certificat d’ingénieur à propos des énergies renouvelables. Sa compagne, Elena, a un poste d’assistante ici qui lui permet de travailler sur son doctorat en science politique tout en vivant avec Giovanni et leur nouvelle amie, dont l’énergie débordante prenait beaucoup de place : Gaïa, la Labrador de 3 mois.

Questions d’éthique environnementale

Après une journée de rencontre à l’université, Giovanni m’emmène boire une bière dans un bar qui propose 100 références à la pression ! La plupart brassées localement. Je me dis qu’on ne peut boire qu’une bière à la fois. Je me dis que la démesure américaine produit toute sorte de monstruosités. Sur le chemin, nous discutons d’éthique de l’environnement. Une des questions qui intéressent les philosophes américains en particulier est de savoir comment élargir la communauté morale à d’autres êtres que les humains. Quelles sont les qualités qui font qu’un animal, une plante, un écosystème peut avoir une valeur en lui-même (intrisic value) et non pas être réduit à un simple instrument (instrumental value) ? Le présupposé est qu’une valeur intrinsèque induit des obligations morales.

Je transmets à Giovanni la question d’un collègue : Y a-t-il chez les végans une extension de la communauté morale jusqu’à la plante ? L’idée de Giovanni est que le véganisme est inclus dans le « biocentrisme » (c’est-à-dire l’idée que tout être vivant a une valeur en lui-même et non pas seulement en tant que moyen pour satisfaire une fin humaine, ce qui conduit à l’obligation de respecter tout être vivant), lui-même inclus dans « l’écocentrisme » (c’est-à-dire l’idée que ce ne sont pas les individus vivants, plantes et animaux inclus qui ont une valeur en soi, mais une organisation écosystémique qui préserve la diversité et la résilience). Selon lui, le biocentriste peut attribuer une valeur intrinsèque à la plante et l’arbre (donc ne pas considérer qu’on puisse faire n’importe quoi avec lui) et cependant manger ses fruits si cela est nécessaire à sa survie.

J’essaie de lui expliquer mes réticences vis-à-vis du caractère non-interrogé du schéma d’un élargissement de la communauté morale, comme si la relation morale restait la même que l’on se rapporte à une plante, un animal, un écosystème, un proche, un concitoyen ou l’humanité en général… J’essaie de lui expliquer l’idée, que je trouve chez Bergson, d’une transformation de la relation morale produisant l’élargissement de la communauté morale de la tribu à l’espèce humaine. Je commence à comprendre mieux le présupposé américain selon lequel l’éthique est une manière de rationaliser des choix et non une façon de comprendre (comme chez Bergson) comment une norme devient effective. J’essaie de lui résumer Les deux sources de la morale et de la religion pour mettre en évidence une analogie entre l’élargissement des nouvelles éthiques environnementales au-delà de l’humanisme anthropocentré (seul l’humain a une valeur morale) et l’élargissement à l’humanité au-delà de l’ethnocentrisme. Peut-être ne faudrait-il pas parler d’élargissement mais de transformation de la relation morale, qui viendrait ensuite s’exprimer au plan médiateur de la raison pour déterminer la nature des nouvelles normes. Il me dit qu’il ne pourrait avoir ce genre de discussion technique qu’avec 3 ou 4 étudiants ici, parce que les autres sont trop superficiels où n’ont pas le fond historico-culturel pour comprendre ce genre d’élaboration conceptuelle. S’ensuit un ensemble de remarques sur la médiocrité de l’éducation ici, sur l’absence de sens historique : « je donne un cours d’introduction à la philosophie, il y a toujours 5 élèves qui ne savent pas la différence entre avant-JC et après-JC ! Tu imagines l’exotisme de parler de Platon et d’Aristote au Ve siècle avant JC et des présocratiques sur les rives d’Anatolie au VIIIe siècle avant JC ! »

Giovanni et les autres doctorants, surtout étrangers, sont assez critiques sur l’attitude consumériste de la plupart des étudiants. Chaque cours est payé, cela coûte cher, et la plupart ne viennent en cours que pour avoir la meilleure note pour ensuite avoir le meilleur avenir professionnel et ensuite… gagner plein de pognon ! Peu de sérieux dans les lectures, peu de curiosité. Par conséquent les examens sont faciles et le tout peut rester superficiel.

Combat

UNT Fracking Ban

Giovanni m’explique comment la lutte contre la fracturation hydraulique pour le gaz de schiste (« fracking ») s’est déroulée à Denton. Et on comprend qu’il puisse y avoir de la défiance vis-à-vis de la classe politique ! Mené par un groupe d’activistes, un mouvement citoyen s’est élevé pour sensibiliser aux problèmes sanitaires autour du fracking dans l’agglomération de Denton. Un groupe d’expertise citoyenne a été créé pour informer et faire discuter les arguments : Denton Drilling Awareness Group. Cela a conduit en 2014 à la tenue d’un référendum local qui a banni toute fracturation hydraulique sur la commune de Denton. Les industries pétrolières ont trouvé 2 moyens de contourner la décision démocratique. Premièrement, elles fracturent le schiste hors de la ville – mais comme la fracturation est essentiellement horizontale, les forages se propagent dans le périmètre de la ville mais pas officiellement. Deuxièmement, et cela est plus intriguant, quelques mois plus tard le Sénat du Texas, massivement républicain, fait passer une loi HB-40 pour invalider toute initiative démocratique locale et pour les subordonner aux ordonnances étatiques !

Un autre problème préoccupe Giovanni, la violence armée au Texas et particulièrement l’autorisation de porter des armes sur le campus qui a été approuvée depuis janvier 2016. Les européens surtout trouvent cela ubuesque. L’argument est que les tueries sur les campus ont eu lieu dans des zones « banalisées », personne n’a donc pu répondre aux fous tireurs… Par conséquent, on utilise les armes partout en espérant que cela fasse dissuasion ! Peut-on imaginer faire comme en Australie ou en Argentine, où la remise de ces armes s’est faite contre des sommes incitatives d’argent ? Giovanni pense que même cela ne fonctionnerait pas au Texas, et que les gens garderaient leurs armes. Il y a quelques mois, un étudiant ivre a été abattu par un officier zélé à quelques rues du logement de Giovanni et Elena…

L’amitié se déploie spontanément. La proximité de nos parcours, l’affinité alpine, le regard étranger sur l’étrange Amérique, tout cela nous rapproche. Il s’est démené pour que je rencontre le plus de professeurs possibles, prenait les rendez-vous, passait les coups de téléphone, me guidait et me nourrissait ! La veille de son départ en Écosse pour un colloque sur les énergies renouvelables, il a organisé une soirée chez lui, a insisté pour que je présente le voyage à ses invités. Il m’avoua que cela faisait de nombreuses années qu’il voulait faire un grand voyage à vélo. S’il trouve un moment entre 2 stages cet été, je l’ai invité pour partager la route. Quand mon projet donne envie d’être créatif et libéré, un peu de magie s’opère. Merci Gio !

Damien

A Lazabeille !

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