La nuit était profonde. Le départ matinal facile et sans fatigue apparente. Très vite la route quitte la côte pour s’élever dans les collines couvertes de forêts splendides. L’air est frais, les voitures encore couchées et la pente suffisamment douce pour permettre une progression à bon rythme. Après deux bons cols, la route redescend vers Leggett, point de jonction avec la Freeway 101.
Autoroute
Au Texas, dans l’Utah et même au Nevada, les autoroutes avaient un bas-côté si large que le flot incessant et si rapide des moteurs semblait compatible avec la progression des cyclistes en marge. Les comtés de Mendocino et Humbolt sont les plus pauvres de Californie… Et comme les cartels mexicains qui font pousser la marijuana et tourner toute une économie parallèle ne doivent pas payer trop d’impôts, ici les bas-côtés sont minuscules ou inexistants. La route venait d’être refaite à neuve et pas davantage de « bike lane » décente. Les 40 derniers miles de la journée ont donc été parcourus dans des conditions peu confortables. Et de temps à autre, il y a toujours un inconscient plus inconscient qui, me frôlant, fait monter en moi un mélange de tension, de colère et de lassitude. Mon incompréhension est d’autant plus grande que j’ai du croiser plus de 20 cyclistes descendant vers le sud : la Pacific Road est décidément populaire… Cette après-midi j’avais largement l’impression d’une réputation surfaite !
Avenue of the Giants
Quand enfin, il existe une route pour échapper à la folie, je découvre « l’Avenue des géants ». C’est une route qui traverse en différents points les forêts de Redwoods, les séquoias géants. J’ai croisé différentes attractions touristiques plus ou moins perverses exploitant ces arbres qui obligent au respect : la pire est sans doute la « drive thru tree ». Tu rentres dans un parc en payant comme à un péage. Puis, j’imagine, tu dois conduire jusqu’à franchir en voiture un tunnel creusé dans le tronc massif des arbres millénaires… J’ai du mal à concevoir un rapport plus stupide à ces êtres extraordinaires, mais il est vrai que les moteurs mon rendu grincheux. Cerise sur le gâteau, quelques kilomètres avant d’arriver au camping : j’expérimente pour la première fois le « rollin’ coal », ces gros diesels montés avec un kit permettant d’injecter une quantité trop importante de gasoil dans le moteur sur une grosse accélération, d’où il résulte des nuages noirs magnifiques. Son usage ? Enfumer piétons, cyclistes et voitures hybrides ! Que l’on puisse inventer cela me laisse songeur, que l’on puisse bricoler sa voiture pour lui donner cette nouvelle fonction ne fait qu’accroitre mon incompréhension, qu’on puisse finalement prendre plaisir à l’utiliser nourrit mon pessimisme. Mais se faire soi-même envelopper par ces fumées dégueulasses, après une longue journée à scruter le comportement des bolides dans mon petit rétroviseur, nourrit une hargne haineuse. Ils ont sans doute réussi leur coup : énerver un fucking cyclist ! Le rollin’ coal est un peu comme le spectacle des espaces infinis du ciel : il produit une perplexité existentielle. La vanité des hommes est vertigineuse, leur connerie aussi !
Damien





Ils ont réussi à faire craquer un philosophe (pas sûr que beaucoup d’entre eux connaissent ce mot anyway !)
L’humanité c’est comme un road trip en vélo : faut du courage !
Bisous !
Profondeurs insondables; c’est terrifant