# Ecotopie : Memphis – Comment sauver la Wolf River ?

L’âme de Memphis vibre de trois rythmes : la musique Blues-Soul-Funk-RnB, la lutte pour les droits civiques et le Mississippi. La Wolf River est un affluent du Mississippi qui serpente d’Est en Ouest sur 170 Km, traverse toute l’agglomération de Memphis et conflue avec le « Big Muddy » au niveau de Mud Island.

Une rivière sinistrée

Dans les années 80, la Wolf River est considérée comme rivière morte. Doublement tuée. Par les rejets chimiques de l’usine Velsicol tout d’abord, industrie pionnière dans les pesticides dont les deux produits phares, le chlordane et l’heptaclore, « ont fait leurs preuves » durant des décennies avant d’être interdits aux USA à la fin des années 80 : la rivière est encore aujourd’hui classée niveau 5, haute toxicité avec contamination des poissons au chlordane, comme 101 miles (plus de 162 Km) dans la région de Memphis et 54 000 (plus de 86 000 Km) sur l’ensemble du territoire américain. Tuée ensuite par des travaux de canalisation de la rivière par le « génie civil » américain dans les années 60. L’intention de réduire les crues de la rivière par le creusement et la rectification des méandres a en réalité produit une accélération du débit de l’eau et une érosion aujourd’hui problématique : depuis 2004, un projet de restauration de 12,5 Millions de dollars tente de rattraper ces effets imprévus de l’ingénierie.

Un groupement privé au secours du bien public

En 1985, agents immobiliers et citoyens attentifs à la conservation du patrimoine naturel de Memphis se fédèrent pour protéger la Wolf River. Ils créent la Wolf River Conservancy. Grâce à Baird Callicott, spécialiste mondial d’éthique environnementale qui m’a accueilli à Memphis, j’ai rencontré Bob Wenner, ex-agent immobilier qui reverdit comme Directeur Financier de cette organisation à but non lucratif. Le fait qu’une association privée prenne en charge la préservation de biens publics étonne le français que je suis ! Mais cette organisation se révèle indéniablement efficace.

Du groupe d’activistes confidentiel à la structure professionnelle

La première grande victoire de la Wolf River Conservation a été, en 1995, la lutte contre un projet de mine à ciel ouvert sur la Ghost River. L’association a alors levé 1 million de dollars, auxquels l’Etat du Tennessee a ajouté 3 millions pour acheter le terrain et en faire une Réserve Naturelle : la Ghost River State Natural Area.

Ce fait d’armes a permis la structuration de cette petite association d’activistes en une organisation professionnelle, devenue en 2013 un Land Trust, une structure associative de protection de la terre. Ses objectifs sont aujourd’hui d’acheter des terrains le long de la Wolf River pour les protéger, de mener des campagnes d’éducation et de sensibilisation au problème de l’eau autour de l’aquifère de Memphis et de développer des activités de loisir sur la rivière et ses abords.

Depuis quelques années, l’élaboration d’une base de données et d’un programme informatique permettant de recenser les terres à acquérir et de les hiérarchiser a permis de gagner en efficacité dans la stratégie de l’association. Bob Wenner m’explique les principes qui permettent de cibler les terrains intéressants : 1°/ la continuité avec d’autres terrains déjà protégés ; 2°/ la haute qualité écosystémique à protéger ; 3°/ la lutte contre la fragmentation des écosystèmes.

Son grand projet depuis 2010 consiste à développer une voie verte sur près de 30 km le long de la Wolf River, la Wolf River Greenway. La WRC a un budget de 9 millions de dollars par an, dont 8,5 millions sont dédiés aux projets de voies vertes (achat de terres, études, réalisation des infrastructures,…). Bob nous emmène voir un terrain qu’il a acquis récemment et quelques parcelles déjà existantes de la voie verte. Il y a visiblement du plaisir et du sens pour cet ancien agent immobilier d’être passé du développement gris au développement « d’infrastructures vertes », de l’appropriation privée à la constitution d’un bien public.

L’initiative privée pour la constitution et la protection du bien public

La puissance de l’initiative privée pour prendre en charge des intérêts publics me frappe. Chez nous les Conservatoires (du littoral par exemple) sont des institutions publiques, et les infrastructures relèveraient des fonctions publiques territoriales, même s’il existe une structure associative qui se rapproche de la WRC avec les Conservatoires d’espaces naturels. La mission de la WRC m’apparait essentiellement comme une entreprise de retour en arrière par rapport à l’idéologie selon laquelle la propriété privée doit être le régime juridique principal du rapport à la terre. Toute l’énergie commerciale, communicationnelle, lobbyiste déployée par la WRC consiste à soustraire des parcelles à la propriété privée individuelle. Car l’atomisation n’est qu’un artifice qui néglige la réalité écosystémique et fait abstraction de certains effets collectifs. Les pollutions et dégradations des milieux n’ont que faire des enclosures ! Vivre ensemble suppose que les conditions de possibilité de la vie pour tous, notamment l’accès à l’eau, soient pris en charge par autre chose que l’avidité individuelle. La conquête d’espaces mis à la disposition de la jouissance collective rencontre un franc succès à Memphis ! L’éducation aux problèmes de l’eau suffira-t-elle à faire prendre conscience des limites d’une idéologie politique ?

Damien

Singedéviant

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