La nuit à Childress avait été bonne. Au matin, une petite pluie fine et glaciale cinglait le visage et gelait les pieds. Le vent venait rajouter sa froidure. Matinée hivernale au Texas. En chemin vers Estelline, une voiture me double et s’arrête sur le bas-côté. C’est Elena et Gaia, mes hôtes de Denton, et leurs amis qui reviennent d’une virée dans le Colorado. Effusions joyeuses de retrouvailles hasardeuses.
J’arrive à Turkey vers 13h30 et j’ai froid aux pieds. J’achète de la nourriture à la station service-épicerie du village. Je trouve un mur à l’abri du vent. J’étends ma tente pour la faire sécher et m’étends contre le mur pour me réchauffer.
En face de moi, une petite maison avec un signal de croisement de chemins de fer et une vieille Jeep à vendre. Un vieillard s’active, malgré ses hanches en délicatesse. Il vient dans ma direction. Très vite, en apprenant que je suis français, il m’offre l’hospitalité. J’avais envie de continuer la route. Il me dit qu’il va geler cette nuit, qu’il a une chambre d’ami et le wifi. On ne refuse pas l’hospitalité.
Dale Red est un vétéran de la guerre froide qui a servi en Allemagne à côté de Francfort. Il en a profité pour visiter l’Europe et la France. Il a 77 ans, une barbe blanche jaunie là où ses cigarettes se consument, grand et maigre. Il vit seul dans sa petite maison à Turkey depuis quelques années de retraite. Il me dit qu’auparavant il a fait un master en économie avec des mineures en philosophie et langues. Il a ensuite enseigné à l’école élémentaire, puis a monté des affaires, principalement dans le Colorado : assurances, tomates, chevaux, et maintenant quelques vieilleries. La Jeep devant sa maison est de 61, un modèle 6 cylindres très rare me dit-il, 450 $. Il a aussi en exposition des barbecues, des chaises, … Il a 2 filles qui sont enseignantes et une petite fille qui est championne de rodéo !
Ravi d’avoir de la compagnie, il me montre sa tanière : c’est sombre, ça sent le tabac et l’humidité, c’est sale partout. Ma présence va le stimuler pour mettre un peu d’ordre dans tout cela ! Je m’installe dehors, à l’abri du vent pour écrire. Il se démène, fait la vaisselle, jette les poubelle, brosse les toilettes et me fait un café pas très bon dans une tasse pas très propre. Je ne me sens pas particulièrement hygiéniste, mais je peux visiblement encore faire des progrès !
La gentillesse et le dévouement de Dale faisaient plaisir à voir. Avant d’aller préparer le repas, il me raconte quelques faits de gloire sur Turkey. C’est la ville natale de Bob Wills, un violoniste star du swing blanc du Mid-West. Alors, une semaine par an, fin avril, le village de 430 habitants est envahi par des milliers de mélomanes, entre 7000 et 11 000 me dit-il, pour participer au Festival en hommage à Bob Wills. Alors des théâtres-dancing ouvrent et le village vit au rythme du swing et des danses. De ce fait, beaucoup de musiciens viennent prendre leur retraite à Turkey. Au salon, un mur est dédié à Bob Wills avec des photos et des affiches qui surplombent la rangée de casquettes. Un autre mur est le mur patriote avec le drapeau américain et quelques symboles nationaux.
Nous sommes le lendemain de la Saint Patrick, jour de fête. Il reste du repas de la veille, Corned-beef, choux et haricots rouges que Dale accompagnera d’un Corned-bread, sorte de gâteau salé et épicé à la farine de maïs. Dale fête la rupture de sa solitude, trop heureux de me faire découvrir les spécialités culinaires texanes.
Assez vite dans la soirée, la télé prend toute la place. Je continue à écrire et jette un œil de temps à autre sur le basket universitaire en petit écran. Bientôt je tombe de sommeil. La télé fonctionnera toute la nuit… Je me rends compte alors que cette maison est sans livre et que décidément, la télé produit d’étranges dépendances. Mais dans la solitude, sa présence est si fascinante…
Au matin, l’air est pur et frais. Je me sens reposé. Je quitte Dale Red et Turkey. Je réfléchis sur ces fins de vies solitaires, où si peu laisse soupçonner la richesse de l’activité et de la création passée. L’espace s’élargit. Il est bon de respirer à pleins poumons.
Damien
A Léa Marchand !











Bonjour Damien,
Je suis tes vidéos et autres photos de ton périple américain depuis quelques jours c’est passionnant !
Bon courage pour la suite et continue à envoyer tes rencontres américaines
A bientôt Sabine (aïkido de gaillard)