Après avoir monté mon premier col au Texas, j’atteins un plateau que je vais traverser tout droit, plein ouest sur 200 km ! Ce sont les « mid-plains » : quelques éoliennes et beaucoup trop de cultures intensives. Partout ces champs en disque, formés par l’aspersion-fertilisatrice d’immenses portiques à roulettes. Nous sommes en mars mais déjà la sécheresse se fait sentir. Ici, tout ne pousse que par la magique aspersion. On fertilise aussi par avions, tant qu’à faire…



Il y a d’anciens champs de maïs mais la plupart sont des champs d’herbes plantées. Je comprends au fur et à mesure que l’on plante de l’herbe pour nourrir le bétail. A l’horizon on ne voit pas de clochers mais les silos : des usines à stocker le grain, souvent directement reliées à la voie ferrée.
Après une longue journée et de façon violente, je découvre, après Hart, à quoi ressemble l’élevage intensif de vaches aux USA. Une usine. Des tonnes d’ensilage sur des centaines de mètres, puis des enclos où s’entassent des milliers de vaches. Elles mangent en passant la tête à travers les grilles un mélange de maïs, d’ensilage et de soja sans doute…
A mon passage, les vaches accouraient et me regardaient fixement. Des dizaines d’yeux tristes mais étonnés. C’est pestilentiel, la concentration des bêtes et leurs excréments ont rendu impossible toute autre vie, leur souffrance n’est pas qu’imaginaire. Je pensais à l’idée développée par Emmanuel Levinas du Visage qui est la présence par laquelle Autrui me révèle sa vulnérabilité, ce qui suscite en moi l’obligation morale. Les vaches incarnaient le Visage ce soir. Je me sentais à la fois impuissant et lâche. En colère aussi contre l’imagination perverse des producteurs de viande. Quelques ouvriers vivaient sur place, dans la poussière et les effluves nauséabondes. Bien entendu, cette affaire ne tourne que parce que des ouvriers exploités ont trouvé là de quoi satisfaire leurs besoins. L’absurdité écosystémique et la maltraitance odieuse des bêtes se doublent de l’exploitation des hommes pour enrichir quelques propriétaires à l’écart des nuisances.
Le lendemain je croisais encore quelques usines à vaches. Encore plus grandes, encore plus nauséabondes, encore plus insoutenables. L’ensilage se transporte aussi par semi-remorques qui me frôlent à fond de train, suivi de leur trainée empestée. Comble du cynisme, le village du coin s’appelle Bovina, et l’une des usines « Bovina Feeders », « les engraisseurs de Bovina ».








Sur le panneau publicitaire d’une autre, ce slogan : « No weigh, No pay », littéralement « Pas de poids, pas de salaire ». On fabrique du poids de viande dans une spirale décadente. Partout le modèle néolibéral répand sa destruction. Et l’expression « création de richesse » me donne envie de vomir.
Damien
A Ontologyfreak !