Présence à soi
Le cycliste a pour compagnon ses sensations. L’effort d’endurance rend très présent à la façon dont le corps réagit aux sollicitations. Il y a bien sûr la vigilance au contexte routier pour minimiser les risques d’accrochages ou d’accidents. Mais il y a surtout une écoute de soi et un réglage continu : de la puissance emmenée, du rythme, de l’hydratation, de l’alimentation, de la respiration, des pauses.
Dans le dur
Parfois, l’atmosphère générale de toutes ces indications est morose : ce matin par exemple, peut-être à cause du froid, d’une nuit agitée, d’un trop gros effort la veille, ou que sais-je encore, je me sentais peu explosif, mou et endolori. Eussè-je été chez moi, j’aurais fait demi-tour ou aurais envisagé une autre activité qui permette le repos du corps. Dans le voyage à vélo, l’évitement n’est pas vraiment l’idée.
Le second souffle
Or cela permet de faire l’expérience du « second souffle », c’est-à-dire l’inversion des sensations tristes en sensations joyeuses. Cela permet d’éprouver deux principes fondamentaux du rapport à nos sensations :
1°/ Un principe bouddhiste : toute sensation est changement, passage, transformation. Si je ne la fige pas en un mot, si je ne me crispe pas sur une cause potentielle, si je ne me raconte pas des histoires à ressasser, ce qui se présente est une myriade de changements.
« C’est cela Vipassana: faire l’expérience de sa propre réalité par l’observation systématique et dépassionnée, à l’intérieur de soi-même, des phénomènes toujours changeants de l’esprit et de la matière, qui se manifestent sous forme de sensations. C’est le point culminant de l’enseignement du Bouddha : la purification de soi, par l’observation de soi. »
2°/ Un principe stoïcien : toute adversité fait découvrir des ressources insoupçonnées.
« Pour tout ce qui tombe sur toi, rappelle-toi de chercher, faisant retour vers toi-même, quelle puissance tu détiens pour en faire usage. Si tu vois un bel homme ou une belle femme, tu découvriras, pour leur faire face, la maîtrise de soi ; que la fatigue vienne, tu découvriras l’endurance ; le reproche blessant, tu découvriras la patience. Et avec cette habitude les représentations ne te captiveront pas. »
Épictète, Manuel, [X]
Il suffit parfois de peu, une bonne pause, un repas copieux, la présence d’une piste cyclable rompant enfin la rectitude pour que le corps retrouve une positivité dans l’effort – de la souplesse, du rythme, de la bonne humeur. Le corps est dynamisme, variations de puissance d’agir dirait Spinoza. Et décidément, on ne sait pas ce que peut un corps.
Damien
A Nyna 😉

