J’ai maintenant rencontré les classes participant au projet. Ces moments de partage furent brefs mais déjà donnent à penser sur la relation pédagogique et la sensibilisation aux questions environnementales.
Un espace d’ouverture au sein de l’école
Face aux élèves ou parmi eux, la place était inédite pour moi, et intrigante sans doute. Mais j’ai eu cette impression de tisser une relation pédagogique qui assouplissait le cadre institutionnel. Ma position est confortable. Je suis dedans (en tant que « prof ») mais déjà dehors (en disponibilité). J’ai la légitimité du cadre scolaire et l’absence d’obligation du voyageur. C’est comme si j’introduisais un peu du « big sky » américain au sein des murs de l’école. Comme si les élèves se sentaient happés par cette fenêtre vers un au-dehors de l’école s’ouvrant au sein de l’institution.
On se plaint parfois que les élèves créent des barrières entre l’école et leur vie. Et face aux efforts pour faire « vivre l’école », s’élève un concert de déploration qui, comme La vierge folle de Rimbaud, interroge : « Quelle vie ? La vraie vie est absente ». J’ai tendance à trouver cette distinction suspecte. Mais imaginons un instant qu’elle existe, quelque part, dans quelque représentation. Alors, faire entrer l’aventure dans l’école c’est recréer ce lien organique entre les enseignements et la « vie ». D’ailleurs les questions qui m’étaient posées concernaient d’abord ce mode de vie du voyageur qui intrigue en même temps qu’il détonne : « Tu vas dormir où ? » « Tu emportes quoi ? », « tu connais déjà des gens là-bas ? », « J’espère que tu parles bien anglais… ».
« Faire sortir de… », « ouvrir », « proposer un espace qui permet le mouvement », en un mot « déterritorialiser » : ces interventions me placent au cœur de ce que je crois être le mouvement même de la relation pédagogique (être authentique et créer un petit décalage qui transforme nos expériences respectives).
Par ma venue et par le projet qui va se tisser, j’ai aussi l’impression de donner de l’espace à mes collègues, une fenêtre privilégiée car neutralisant pour un temps les impératifs de gestion (de classe, de progression, d’objectifs et de programme). Cet espace ouvert est un milieu encore indéterminé c’est-à-dire riche en potentialités. Et spontanément, on formule le souhait que les élèves se saisissent de cette originalité pour s’exprimer, prendre l’initiative, en tâchant de ne pas trop vite retomber dans l’efficacité ordinaire et dans la normalité institutionnelle. Discussion à visée philosophique, travaux de recherche, modes d’interactions par les nouveaux médias… Il y a de la place pour inventer.
Sensibiliser
Convention-cadre sur les changements climatiques, Accord de Paris, Article 12 :
« Les Parties coopèrent en prenant, selon qu’il convient, des mesures pour améliorer l’éducation, la formation, la sensibilisation, la participation du public et l’accès de la population à l’information dans le domaine des changements climatiques, compte tenu de l’importance que revêtent de telles mesures pour renforcer l’action engagée au titre du présent Accord. »
Je ne sais pas si cet article 12 a produit des débats au cours des négociations de la COP 21, mais je constate que la sensibilisation aux questions environnementales trouve des oreilles attentives auprès des élèves. Le travail sur les faits (les marqueurs et les causes du changement climatique) est fondamental car loin d’être acquis. Et on doit expliquer les créations institutionnelles scientifique (GIEC : Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Évolution du Climat) et politique (CCNUCC : Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques) autour des questions climatiques, ainsi que leur histoire car elles sont souvent inconnues. Mais « rendre sensible » cette réalité, voilà l’enjeu et voilà la difficulté. Parfois le discours catastrophiste sur le changement climatique semble manquer sa cible car la réalité dont on parle n’est encore ni brutale dans ses destructions, ni visible ordinairement dans ses effets désastreux. Or c’est précisément par ces traits que se reconnaît une catastrophe : la violence, l’effondrement d’un ordre désormais passé, les conséquences désastreuses. Le changement climatique est insensible et pourtant catastrophique. D’où la nécessité d’imager, de donner à sentir, de créer des affects. Faisons le pari que le lien à un voyageur-philosophe, son irruption dans une classe et l’interaction même à distance, soit une façon de se sentir affecté par le changement climatique qui n’est pas à venir, mais qui déjà se manifeste pour peu qu’on y soit attentif.
Émotion
On m’a déjà dit plusieurs fois que mon voyage « faisait envie ». Je ne sais pas trop ce que l’on envie. L’aspiration à la liberté sans doute. Ce que je sais en revanche, parce que je le vois et je le sens, c’est qu’une forme d’émotion se partage. Elle est d’autant plus manifeste que les acteurs sont spontanés : elle explose chez les CM1 dans tous les sens, elle se dit chez certains Seconde par le désir de partager la route, elle est plus timide chez les Terminale et parfois se cache derrière ce qui me semble être une défiance généralisée à l’égard du monde adulte. Mais des remerciements, des mots d’affection, des regards brillants m’ont accueilli partout. Ils montraient que l’émotion qui porte ce projet peut se propager, et – qui sait ? – produire un appel et mettre en mouvement.
Damien